Pendant des années, le taux d’ouverture a été le baromètre par excellence de l’email marketing. Un chiffre simple, apparemment fiable, qui rassurait autant qu’il orientait : si un email était ouvert, c’est qu’il suscitait de l’intérêt. Mais cette évidence se trouve aujourd’hui bousculée, ébranlée même. Les nouvelles réglementations, les outils de protection de la vie privée — à commencer par Apple Mail Privacy Protection — et l’évolution des usages numériques ont profondément déformé cet indicateur. On se demande alors si le taux d’ouverture est encore pertinent ou s’il faut le considérer comme totalement obsolète. Ce bouleversement soulève une autre question essentielle : comment les marketeurs peuvent-ils s’adapter et continuer à mesurer efficacement la performance de leurs campagnes ?
Le taux d’ouverture : un indicateur en perte de sens
L’impact de la Mail Privacy Protection d’Apple
Depuis l’introduction de la Mail Privacy Protection (MPP) par Apple en 2021, les données d’ouverture des emails sont devenues moins fiables. En effet, cette fonctionnalité masque les comportements réels d’ouverture des emails. Les images sont préchargées automatiquement dès la réception, même si l’utilisateur n’a jamais ouvert l’email. Le simple fait de recevoir un message peut désormais être interprété comme une ouverture par les outils de tracking.
À cela s’ajoute le masquage des adresses IP, qui rend impossible toute géolocalisation fiable ou identification de l’appareil utilisé. Pour les expéditeurs, c’est une perte importante en matière de données comportementales.
Quand un indicateur faussé induit de mauvaises décisions
Depuis la généralisation de la Mail Privacy Protection, le taux d’ouverture est devenu un signal trompeur. Les plateformes de messagerie déclenchent automatiquement le pixel de suivi, sans action de l’utilisateur. Ce décalage entre le comportement mesuré et la réalité du lecteur fausse l’analyse, donc les décisions stratégiques.
De nombreux scénarios marketing (relances, campagnes de réengagement, tests A/B, etc.) reposaient sur la fiabilité du taux d’ouverture. Résultat :
- Des utilisateurs actifs peuvent être considérés comme inactifs (et exclus) ;
- Des objets d’emails testés peuvent être mal classés ;
- Des automatisations s’activent au mauvais moment, ou sur le mauvais segment.
Ce n’est pas seulement une question technique : c’est une déformation profonde de la logique d’optimisation.
Vers une redéfinition des indicateurs de performance
Prioriser les taux de clics et de conversion
Face à ce constat concernant le taux d’ouverture, il est essentiel de se concentrer sur des indicateurs plus fiables, comme le taux de clics (CTR) et le taux de conversion. Ces derniers montrent une interaction active de l’utilisateur avec le contenu, offrant ainsi une vision plus précise de l’engagement réel.
Le taux de réactivité : une alternative pertinente
Le taux de réactivité, calculé en divisant le nombre de clics par le nombre d’ouvertures, permet d’évaluer l’efficacité du contenu de l’email. Cependant, avec la quantité d’ouvertures inexactes, ce taux peut également être biaisé. Il faut donc l’interpréter avec prudence et en complément d’autres indicateurs .
Qu’en est-il du taux d’ouverture ?
Plutôt qu’une disparition nette, on observe une mutation de son rôle. Le taux d’ouverture ne peut plus être utilisé comme indicateur principal — mais il n’est pas non plus inutile dans l’absolu. Il conserve une valeur dans certains contextes :
- Tests A/B sur des objets, si le public est peu affecté par MPP ;
- Suivi de performance en B2B, où les protections de confidentialité sont moins répandues
- Évaluation de campagnes très ponctuelles (transactionnelles, notifications…).
Ce qu’on enterre, ce n’est pas tant le taux d’ouverture en tant que métrique, mais son utilisation trop intensive. Il devient un KPI secondaire, à manier avec discernement.
Réagir intelligemment à cette évolution du taux d’ouverture : des pistes concrètes
Repenser les déclencheurs dans les automatisations
Beaucoup de scénarios d’automatisation reposent encore sur le déclencheur « si l’email est ouvert ». À ce critère, préférez des actions réellement mesurables, comme par exemple l’utilisation du clic comme nouveau signal de déclenchement.
Construire des tests A/B centrés sur l’engagement réel
Évitez de baser vos tests d’objet sur le taux d’ouverture. Mieux vaut vous appuyer sur le taux de clics, les micro-conversions (comme un téléchargement ou un ajout au panier), ou des tests réalisés sur des panels actifs, en observant leur comportement une fois sur votre site.
Intégrer des éléments traçables dans l’email
Même sans le pixel d’ouverture, vous pouvez mesurer l’intérêt des abonnés grâce à d’autres éléments intégrés dans vos emails : plusieurs liens pour savoir quelles sections attirent le plus, des sondages ou interactions simples, ou encore des boutons de type « Ce contenu vous a-t-il été utile ? ».
Ces actions cliquables permettent de recueillir des données précises tout en rendant l’email plus engageant.
Au-delà de l’email : comment élargir l’analyse de l’engagement
D’autres sources d’analyse permettent de mieux cerner la qualité de l’engagement.
Observer le comportement sur le site web
Le tracking web devient un levier d’analyse incontournable. Il permet de suivre le trafic généré par les emails, la qualité des sessions (rebond, temps passé, profondeur de navigation), ainsi que les conversions attribuables à l’emailing.
Intégrer des feedbacks qualitatifs
Le retour des abonnés devient d’autant plus précieux que les signaux techniques se brouillent. Pensez à :
- Intégrer des enquêtes rapides ;
- Suivre les réponses manuelles à certaines campagnes ;
- Récolter du feedback produit ou contenu.
L’âge d’or du taux d’ouverture est révolu, mais pas tout à fait mort
Le taux d’ouverture a longtemps été l’indicateur-roi de l’email marketing. Aujourd’hui, il a perdu sa fiabilité, son sens et son statut. Mais faut-il pour autant le déclarer mort ? Pas entièrement non.
Le taux d’ouverture n’a pas disparu, il a simplement changé de rôle. D’indicateur central, il devient un repère secondaire, utile dans des contextes bien ciblés — comme le B2B, les emails transactionnels ou les tests sur des segments non affectés par les protections de confidentialité.
Pour les professionnels, ce changement est une opportunité. L’opportunité de bâtir des stratégies plus solides, fondées sur des signaux tangibles et non sur des métriques devenues illusoires. C’est aussi l’occasion de remettre le contenu, l’expérience utilisateur et la qualité des interactions au centre des préoccupations.